Qui est Nicolas Miguet ?

LE MONDE | 20.10.03 | 13h24 • MIS A JOUR LE 22.10.03 | 15h32

Il s'affiche sur les murs de France, mène la fronde des actionnaires à Eurotunnel après avoir flirté avec l'extrême droite et se fâche avec beaucoup de monde. Enquête sur un drôle de touche-à-tout.

Il est difficile de le rater. Régulièrement, son visage s'étale sur de grands panneaux publicitaires dans toute la France. Treize mille affiches de quatre mètres sur trois chaque année, avec son sourire, un numéro de téléphone et un slogan : "Appeler Nicolas Miguet. C'est urgent."

On appelle, donc. Une voix tonitruante : "Bonjour, bonjour ! Ici Nicolas Miguet. Alors à la Bourse de Paris..." Et c'est parti pour dix à quinze minutes de conseils en placements boursiers, de commentaires peu amènes sur les "banksters", les "escrocs" ou les "gnomes" de la finance. Dix à quinze minutes de "vous pouvez acheter", "vous pouvez vendre", enregistrés deux fois par jour et parsemés de "euh...", de "bon...", de "comme me le disait tout à l'heure un ami", qui rallongent d'autant une communication facturée 1,35 euro l'appel, puis 0,34 euro la minute.

Cet homme-là a 42 ans et un bagout du tonnerre. Il possède plusieurs publications boursières et un coupé Maserati. Il peut lâcher dans une même tirade qu'il est "catholique", "monarchiste", qu'il a eu "cinq enfants de quatre femmes différentes", que son "revenu global pour l'année 2002 est de 1 137 716 euros". Comme il ne semble pas avoir peur de grand-chose, il a aussi des ambitions politiques. Il s'est présenté aux élections européennes de 1999 et aux élections législatives de 2002, ce qui lui donne droit chaque année, jusqu'à la fin de la législature, à 14 015 euros au titre du financement public de la vie politique. En 2002, il a manqué son pari d'être candidat à la présidentielle, faute d'avoir pu présenter les 500 parrainages nécessaires. Mais il assure qu'il sera candidat aux élections régionales et aux élections européennes de 2004 et... à la présidentielle de 2007.

Depuis quatre ans, Nicolas Miguet anime surtout un joli réseau de quelques milliers de petits actionnaires. "Des petits bourgeois de province portés à râler contre un système qu'ils ne comprennent pas bien", constate Nicolas Martin du Nord, le PDG du Groupe Nicolas-Miguet. Des petits porteurs qui sont à la fois les lecteurs de ses journaux, les clients de son Audiotel et les militants de son Rassemblement pour le contribuable français (RCF), le mouvement politique qu'il a fondé en 1999.

La plupart d'entre eux ont connu Nicolas Miguet par ces affiches dont il arrose la France, grâce à un accord avec l'afficheur Giraudy/Viacom qui, chaque fois qu'il est confronté à l'annulation d'une campagne d'un de ses clients, propose ses panneaux à Miguet au prix d'une très belle ristourne. Beaucoup se sont retrouvés sollicités parce que leurs noms figuraient dans un fichier tombé entre les mains de M. Miguet. Quelques-uns, enfin, l'ont découvert lors d'une assemblée générale d'Eurotunnel. L'homme d'affaires y mène en effet, depuis deux mois, sous le regard désormais attentif de la Commission des opérations de Bourse (COB), la plus spectaculaire fronde des petits actionnaires contre la direction franco-britannique de la société qui gère l'exploitation du tunnel sous la Manche.

Se pencher sur le parcours de Nicolas Miguet, c'est d'abord plonger dans un extravagant capharnaüm. Des montagnes de papiers qui envahissent ses bureaux parisiens comme le moulin de Verneuil-sur-Avre (Eure), où il vit du dimanche au jeudi, et où seule sa haute stature surnage. Un désordre parfaitement à son image : sans limites, vaguement adolescent et très compliqué.

Les amis sont rares dans ce tableau. Les adversaires innombrables. Presque tous anciens employés, anciens alliés, entrepreneurs qui firent affaire avec lui et terminèrent fâchés. Car la réputation de Nicolas Miguet est épouvantable... notamment auprès des tribunaux. Là, pourtant, l'entrepreneur vous arrête tout de suite pour vous rappeler fermement que la plupart de ses condamnations ont été amnistiées et qu'il est donc impossible de les évoquer dans la presse. Toutefois, il veut bien parler des quatre semaines de détention qu'il a effectuées en préventive après avoir été condamné, en 1999, à huit mois de prison avec sursis pour "banqueroute, escroquerie et faux en écriture". Il en parle comme d'une "expérience" : "Mes militants du RCF apprécient que j'aie pris des coups, assure-t-il, et que j'en aie tiré des leçons."

Il balaie de la même façon le jugement de 1997, confirmé en appel en 1999, qui lui a interdit de gérer une entreprise pendant cinq ans : "Vous voyez bien que le système coupe systématiquement les têtes qui dépassent ! De toute façon, aujourd'hui, je ne suis plus que propriétaire de mon groupe." Nicolas Martin du Nord, qui fut son banquier avant d'accepter, justement, de devenir, en 1999, le PDG de son groupe, souligne en souriant : "Mon rôle est de l'empêcher, désormais, de faire trop de bêtises. Car c'est un formidable entrepreneur, mais il est capable de gérer comme moi d'être plombier..."

Comment a-t-il pourtant débuté dans la carrière ? Dans une famille de la petite bourgeoisie catholique installée à Verneuil-sur-Avre. Un père chauffeur de taxi et artiste-peintre, une mère professeur de mathématiques. Trois garçons, Philippe, Nicolas (né le 16 janvier 1961) et Christophe. Un prêtre, deux entrepreneurs. "Nous sommes une famille atypique, en tout cas en ce qui concerne mes deux aînés", souligne Christophe Miguet qui, après avoir travaillé dans l'entreprise de son frère, a créé sa propre société.

Atypique ? Philippe Miguet, le premier des trois frères, est en effet un prêtre un peu particulier, qui se fait appeler "Monseigneur" et se dit évêque d'une petite communauté religieuse, Notre-Dame de la Miséricorde, qui n'a jamais été reconnue par l'Eglise romaine. Depuis octobre 2002, il est mis en examen pour escroquerie et abus de confiance, pour avoir utilisé à des fins personnelles une somme de 45 000 euros, ce que dément sa communauté religieuse. Mais il s'exaspère surtout de la publicité que lui fait indirectement la notoriété de son frère. Les deux hommes se sont en effet fâchés pour une de ces affaires de fichiers qui paraissent jalonner la carrière de Nicolas Miguet. "Nicolas s'était proposé pour gérer gratuitement le fichier des 7 500 abonnés de notre petite publication, Mater Misericordiae, en s'engageant sur l'honneur à ne pas l'utiliser, assure Philippe Miguet. Il n'a pas respecté sa parole." "J'agis parfois plus vite que je ne pense", répond seulement Nicolas Miguet.

Jeune homme, Nicolas Miguet touche en effet à tout. Et d'abord à la politique. Au milieu des années 1970, il s'engage chez les jeunes giscardiens. En 1977, il en devient l'un des responsables, dans l'Eure. "C'était un type intelligent, ayant mille idées à la minute, parmi lesquelles il fallait faire le tri", se souvient Ladislas Poniatowski, aujourd'hui sénateur UMP. Le département est cependant largement tenu par le RPR, notamment par Jean-Louis Debré, qui va en faire son fief, et il y a peu de place pour un jeune giscardien ambitieux. Mais Nicolas Miguet va s'y faire un petit réseau. Oh, pas grand-chose. La structure est peu organisée localement et Valéry Giscard d'Estaing sera bientôt un président défait. Mais le jeune homme y bat la campagne pour Simone Veil, lors des élections européennes de 1979.

Puis il gagne Paris, où il a été admis à Sciences-Po en 1982, section service public. C'est à partir de là que Miguet va construire sa légende personnelle. Il est l'un des responsables du CELF, syndicat d'obédience giscardienne. Il est surtout l'un des rares étudiants à travailler, de-ci, de-là. Ce n'est pas que le jeune homme manque vraiment d'argent. Sa famille possède un immeuble, rue des Ecoles, au cœur de Paris. Mais il a un appétit de reconnaissance et d'action qui le pousse à proposer des articles au Journal des finances. Il a trouvé sa voie. Il a surtout repéré un formidable créneau : celui des contribuables et des boursicoteurs. Il va en faire sa spécialité journalistique. D'abord dans des journaux économiques, puis à Paris Match, où il lance "Le Match de l'argent". L'éditeur Pierre Belfond accepte de publier ses premiers livres sur le sujet : Tout ce que l'on n'a jamais osé vous dire pour moins payer d'impôts (1987) et Bourse : comment choisir les valeurs qui gagnent (1988 et 1990), avant de rompre avec lui. Désormais, Nicolas Miguet roulera pour lui-même à la tête de sa propre entreprise, NCM-Communication.

L'homme est entreprenant. Il commence aussi à être contesté. Car ce sont maintenant ceux qui se disent ses victimes qui vont parler de lui dans tout Paris. En 1989, il a lancé Le Temps de la finance, un quotidien d'informations économiques et boursières, dans lequel le GAN s'est notamment retrouvé actionnaire, par l'intermédiaire de fonds de placement de ses caisses de retraite.

Très vite, les milieux de la presse économique s'aperçoivent qu'une Association pour la promotion et la diffusion de la presse économique et financière (APDPEF), proche de Miguet, achète elle-même quelques milliers d'exemplaires du journal. Le journal doit déposer le bilan en quelques mois. Nicolas Miguet y perdra une part de son crédit : les salariés du Temps de la finance se sont rendu compte que leur employeur n'a pas réglé les cotisations sociales qui figurent sur leurs feuilles de salaire. La CGT du Livre, qui confectionnait dans ses imprimeries le quotidien, l'accuse de lui devoir "8 millions d'impayés". Le GAN a perdu dans l'affaire une dizaine de millions de francs.

De plus en plus isolé, M. Miguet persiste pourtant et lance de nouveaux journaux boursiers. "En France, dit-il alors, il faut avoir un grain de folie pour entreprendre." Politiquement, il a peu à peu glissé. Désormais, on le voit dans les fêtes du Front national. Ce n'est pas qu'il affiche de réelles et profondes convictions d'extrême droite. Mais il s'est convaincu que son entreprise et le FN sont sur le même créneau et il cherche avant toute chose à grossir la clientèle de ses journaux boursiers. Nicolas Miguet n'entre pas, toutefois, dans le cercle familial des Le Pen, mais il entretient d'étroites relations avec Dominique Chaboche, le vice-président du FN, qui cherche des relais dans la presse écrite.

Justement, en 1994, Nicolas Miguet rachète Le Quotidien de Paris. Il en prend le contrôle majoritaire au terme d'une action rocambolesque qui mérite qu'on s'y arrête. Miguet a déjà une réputation, mais il a tout de même trouvé un allié, l'éditeur de journaux Robert Lafont, PDG du groupe Entreprendre, à qui il propose de s'associer avec lui au sein d'une SARL, Le Nouveau Quotidien de Paris. L'alliance va durer un mois et demi. "Un jour, j'ai appris par la presse qu'il avait procédé, lors d'une assemblée générale, à une augmentation de capital sans moi, raconte aujourd'hui Robert Lafont. En fait, il a envoyé une lettre recommandée dont ma secrétaire a signé le reçu. L'enveloppe était vide. Je n'ai jamais pu prouver devant les tribunaux qu'il ne m'avait pas envoyé de convocation à l'assemblée générale."

Nicolas Miguet a pourtant décidé de faire du Quotidien, qui lui appartient désormais entièrement, l'organe de presse "de toutes les droites" et surtout, de fait, de l'extrême droite. Bernard Fontanges, journaliste à Présent, assure ainsi qu'il a rejoint la rédaction, "à la demande du FN". Le quotidien donne une très large place aux thèses du Front national.

Mais la rupture sera bientôt consommée avec le parti de Jean-Marie Le Pen. "C'est un affairiste et un affabulateur", juge aujourd'hui Dominique Chaboche. "Il se foutait complètement du Front national. Il n'a pas de conviction, affirme Serge de Beketch, ancien rédacteur en chef de Minute. La seule chose qui l'intéressait, c'était le fichier de nos militants. C'est un prédateur." Miguet n'hésitera d'ailleurs pas à publier un plagiat de l'hebdomadaire Minute, muni d'un gros encart en faveur de ses conseils boursiers par téléphone, le jour même où l'hebdomadaire d'extrême droite dépose son bilan, au printemps 1999.

Aujourd'hui, Nicolas Miguet dément toute proximité avec le FN. "Le Pen a réussi à faire rentrer dans le système démocratique une famille putschiste. Mais ce n'est pas ma crémerie", dit-il. Il n'a cependant pas renoncé à fédérer ce créneau porteur des petits actionnaires qui lui rapporte argent et notoriété.

Sa dernière cible en date est donc Eurotunnel, dont il veut, avec l'appui des lecteurs de son journal Bourse Plus.com, qui lui ont confié leurs pouvoirs, renverser le conseil d'administration. Il y a entraîné Joseph Gouranton, président de l'Adacte (l'Association de défense des actionnaires minoritaires d'Eurotunnel) et le financier François Gonthier. Et mène un intense travail de lobbying auprès de plusieurs députés, du communiste Maxime Gremetz à l'UMP Thierry Mariani. "Franchement, il est doué pour le business", assure M. Mariani, qui l'aida en 2002 à obtenir quelques parrainages pour la présidentielle.

S'il y parvenait, M. Miguet réussirait alors à non seulement redorer une image incroyablement controversée, mais à faire une jolie culbute : le groupe Nicolas Miguet a en effet amassé 7 millions de titres d'Eurotunnel qui lui permettraient d'engranger de solides plus-values en cas de redressement du cours de l'action. "Et l'on verrait enfin, explique-t-il sans sourciller, que je suis parfaitement qualifié pour diriger ce pays..."

Raphaëlle Bacqué