Point de vue

Partez, M. le Président !, par Christian Blanc

LE MONDE | 13.01.06 | 13h58  •  Mis à jour le 13.01.06 | 13h58

 

Augmentez la taille du texte
Diminuez la taille du texte
Imprimez cet article
Envoyez cet article par e-mail
Recommandez cet article
Citez cet article sur votre blog
Classez cet article
Réagissez à cet article
 
La France ne vous écoute plus. Elle n'entend pas davantage votre gouvernement, confronté à la mission impossible de réaliser en quelques mois ce qui n'a pas été fait en quelques années. En 2002, Monsieur le Président, nous attendions de vous une stratégie, et un pilotage vers une France moderne permettant de valoriser nos potentiels et notre rayonnement dans le monde. La déception est immense. L'échec du référendum sur la Constitution européenne vous a fourni une occasion d'en tirer toutes les conséquences.
 

Vous ne l'avez pas fait, accélérant ainsi la fin d'un cycle politique durant lequel les Français auront perdu leur fierté, mais aussi leur niveau de vie. Ce sont seize mois à risque social grave, dans un climat d'attentisme et d'intrigues, que le pays va devoir affronter.

Les Français vont découvrir que nous n'avons plus d'argent : sans en être informé, chaque ménage a été endetté par l'Etat à hauteur de 41 000 euros, soit en moyenne davantage que son endettement privé. Jamais depuis la fin de la seconde guerre mondiale nous n'avions connu une telle situation de ruine des finances publiques. Tout cela ne s'est pas produit en un seul jour, ni indépendamment des politiques conduites. Quand, Monsieur le Président, avez-vous fait savoir aux Français les conséquences de cette situation ? Jamais. Cela seul justifierait que vous partiez.

Lors de vos voeux aux Français le 31 décembre, ce fut de votre part un silence assourdissant. Pensez-vous normal de renoncer à vous soucier de ce qu'il adviendra des jeunes générations que nous endettons pour financer notre propre fuite en avant ? Nous achetons avec le fruit de leur travail futur notre peur d'affronter le monde tel qu'il est. Mais qui va payer la facture ? Quelle jeunesse accepterait dans un même temps un accroissement des retraites engendré par la démographie et une dette exponentielle engendrée par l'incompétence d'une classe dirigeante ? Vous avez admis, lors de la campagne référendaire du printemps dernier, ne pas comprendre les jeunes. Craignez que la jeunesse, elle, ait compris ce que vous avez fait : rompre la solidarité entre les générations.

Pourquoi n'a-t-on pas expliqué aux Français qu'à la fin des années 1970, notre PIB par tête dépassait de 25 % celui des Britanniques, et qu'aujourd'hui celui des Britanniques est supérieur de 10 % au nôtre ? Il eût fallu expliquer les raisons de cet effondrement. Est-ce la capacité de vision et de réalisme de Margaret Thatcher et de Tony Blair qui ont fait la différence avec les références à un monde ancien de François Mitterrand et de Jacques Chirac ?

L'Histoire jugera un tel décrochage culturel, économique, et donc social, car sans croissance les acquis sociaux ne sont que des chèques sans provision. Avec nos chercheurs, nos universitaires et nos entrepreneurs, nous avions, et nous avons encore, tous les potentiels d'une économie moderne. Faute d'encourager leur synergie, le risque est grand et que notre croissance moyenne continue de baisser.

C'est probablement, Monsieur le Président, la fin d'un système politique dont vous êtes le chef, capté à droite comme à gauche par un groupe de hauts fonctionnaires, brillants mais coupés du monde réel. Une caste administrative qui n'a pas su adapter notre pays, car elle n'a jamais voulu s'appuyer sur l'intelligence collective de nos concitoyens. Cette suffisance engendre le cynisme, le mensonge, et finalement l'échec.

Aujourd'hui, la fracture est profonde. Le rejet de la classe politique et les avertissements exprimés lors des scrutins nationaux depuis quinze ans n'ont pas été compris, et donc pas suivis d'effet. Notre classe politique n'a pas su se renouveler et propose des modèles dépassés. Or de nombreux Français, en particulier dans nos régions, sont prêts à participer à l'émergence d'une économie de la croissance, à redéfinir les missions et les conditions de l'efficacité de l'Etat, à promouvoir un modèle social qui produise autre chose qu'un taux de chômage à 10 %. Je voudrais, Monsieur le Président, avec tout le respect dû à votre fonction, vous demander de mettre fin à votre mandat dans l'urgence, comme l'a fait le chancelier Gerhard Schröder, et comme l'avait fait le général de Gaulle en son temps. Cela permettra l'émergence d'une nouvelle ambition pour la France en redonnant la parole au peuple.

Ne faites pas de votre échec, Monsieur le Président, l'échec de la France. Une attente insupportable émaillée de discours sans légitimité politique, et donc sans effets réels, peut conduire notre pays à une situation proche de celle qu'a connue l'Argentine. Elle ferait le jeu des extrêmes, et entraînerait probablement un infarctus démocratique en 2007. Croire en la France, c'est redonner le pouvoir aux Français. C'est à vous de décider, Monsieur le Président.


Christian Blanc est député des Yvelines (apparenté UDF).

Article paru dans l'édition du 14.01.06