A travers le labyrinthe des fonds spéculatifs à effet de levier

 

New York Times, 6 avril 2007

 

Par Jenny Anderson

 

« J’étais là quand Long-Term Capital Management a explosé, et j’étais là quand Amaranth a explosé. Et je peux vous dire ceci : Amaranth n’était pas du tout comme LTCM. »

 

Ces mots, de Jeffrey L. Matthews, un des dirigeants de Ram Partners, un fonds spéculatif d’environ $60 million, avaient pour but de rassurer les membres du Comité des affaires financières de la Chambre des représentants, le mois dernier, quand ils cherchaient à savoir si les fonds spéculatifs représentaient un risque systémique pour le tout système financier.

 

La conclusion des audiences ainsi que du groupe de travail du président semblait être : pas particulièrement. Néanmoins un examen plus attentif du marché en forte croissance des investissements à effet de levier révèle une situation beaucoup plus sombre.

 

D’après la sagesse conventionnelle, les fonds spéculatifs ont aidé à réduire le risque lié aux dépôts de bilan, en en prenant une plus grande partie en charge, et ainsi en l’étalant. En d’autres termes, quand 1000 fonds spéculatifs détiennent des obligations ou des prêts qui font défaillance, c’est apparemment moins dangereux que quand c’est seulement 10 banques.

 

La plupart des gens, quand ils pensent au levier d’un fonds spéculatif, pensent aux emprunts du fonds auprès de ses fournisseurs primaires de prêts afin d’augmenter sa capacité d’investissement. Mais il existe d’autres effets de levier – beaucoup d’autres. Par exemple, une activité en forte croissance des banques consiste à offrir du levier aux investisseurs qui eux-mêmes investissent dans les fonds spéculatifs ou même les fonds investissant dans des fonds.

 

Mettons que vous êtes riches et disposez de $25 millions à investir dans un portefeuille de fonds spéculatifs. Des banques comme BNP Paribas, la Banque royale du Canada ou Barclays vous prêteront de quoi construire un levier, disons de quatre [elles vous prêteront 3 de dette pour 1 de capital apporté par vous], vous permettant d’investir $100 millions. La Barclays estime que de l’ordre de 60 à 80 milliards de dollars, obtenus par levier, sont placés par les investisseurs dans des fonds spéculatifs ou des fonds de fonds. D’autres acteurs du marché pensent que c’est plus du double.

 

Plus de levier veut dire plus d’argent qui travaille, et donc – potentiellement – plus de rendement. Les banques se rassurent à l’aide d’une variété de stratégies dans beaucoup de fonds spéculatifs.

 

Les investisseurs sont naturellement excités par ces perspectives. Les rendements des fonds de fonds ont baissé, et leur volatilité est souvent atténuée, faisant alors apparaître l’effet de levier comme une méthode raisonnable pour faire décoller le retour sur investissement.  Les banquiers privés déclarent qu’il n’est pas rare que leurs clients les plus riches aient un portefeuille 100% investi dans des fonds spéculatifs.

 

« C’est comme un petit investisseur qui emprunte, avec son propre capital apporté en garantie, pour se créer du levier », dit Marty Malloy, directeur exécutif de Prime Services, à Barclays Capital, à New York. « L’investisseur veut augmenter son retour sur fonds propres. »

 

Sauf que cette fois-ci, l’investisseur place son argent dans une entité qui a déjà du levier, un fonds spéculatif. L’effet d’amplification – un levier sur un levier – fait un peu peur. Revenons à l’exemple des $25 millions. Vous avez pris un levier de 4 pour créer un portefeuille de $100 millions. Vous investissez $5 millions dans 20 fonds différents. Les marchés traversent un mauvais mois et votre portefeuille perd 5%. Il ne vaut plus que $95 millions.

 

Maintenant vos fonds propres sont descendus à $20 millions, et votre nouveau levier est de 4 ,75 et non plus de 4. Si vous avez convenu avec votre banque que nous ne dépasseriez pas 4, vous être obligés de vendre encore $15 millions d’actifs de votre portefeuille.

 

Si les investisseurs veulent récupérer leur cash, les fonds peuvent être forcés de vendre des actifs. Si les marchés continuent à baisser, les gérants de fonds sont coincés dans la situation où ils doivent vendre dans un marché en chute. Cela peut même déclencher les appels de marge de leurs propres fournisseurs de prêts. Des stratégies qui étaient a priori sans relation se trouvent tout à coup liées. Il est clair que beaucoup de fonds et de banques sont dans le même bateau. Soudainement les choses apparaissent nettement moins roses.

 

Il existe d’autres variations amusantes, comme les effets de levier pour démarrage d’entreprise, ou l’argent que les fonds spéculatifs empruntent dès le départ pour leur permettre d’avoir plus d’argent au travail.

 

Disons que vous avez $10 millions, de vos amis et de votre famille, pour démarrer un fonds spéculatif. Mais pour être crédible dans l’activité, il vous faut $50 millions. Vous empruntez $40 millions à une banque, sous la forme d’actions préférentielles [ou tout autre passif prioritaire]. Et le tour est joué ! Vous gérez maintenant un fonds de $50 millions.

 

« Chaque demi point de rendement supplémentaire vous donne accès à un nouveau palier en terme de capacité à lever du capital », dit Victor L. Zimmermann, juriste chez Curtis, Mallet-Prevost, Colt & Mosle. Il estime que les deals avec actions préférentielles sont utilisés par des fonds d’une taille allant jusqu’à $1 milliard.

 

Ces structures peuvent faire des merveilles pour les rétributions. Rappelez-vous que les gérants de fonds touchent en général 2% sur les actifs sous leur responsabilité et 20% sur les profits comme « incitation » ou rémunération de la performance. Selon M. Zimmermann, les gérants peuvent gagner 20% sur les profits du portefeuille avec tout son effet de levier.

 

Ainsi les fonds ont du levier, les investisseurs ont du levier, et les investissements des fonds ont du levier.

 

« Le problème, c’est combien de gens participent à cette chaîne de leviers ? » dit Jonathan Ende, membre de la direction de Ende Capital Group, une entreprise de conseil en produits financiers structurés.

 

Il pense, cependant, que tout ça reste raisonnable. « Si ça casse, les marchés sont très résistants. »

 

Les prêteurs primaires et les régulateurs partagent l’avis de M. Ende, déclarant que les niveaux actuels de levier sont tout à fait acceptables. Mais les marchés n’ont encore subi aucun test sérieux. Il y a eu des attaques terroristes dans le monde entier, l’effondrement d’Amaranth, un fonds spéculatif de $9,5 milliards, et une guerre en apparence insoluble en Iraq. Et les marchés se sont toujours rétablis après les chocs.

 

Le vrai test viendra quand un mauvais mois – comme février dernier – sera suivi par deux autres mauvais mois.

 

Alors toute cette structure de leviers apparaîtra sous un jour bien différent.


Traduction André Cabannes