Source : http://www.mazerolle.fr/HPE/Les%20Neoclassiques.htm (un très bon site, que nous recommandons)

1.3 BERNOULLI :  le paradoxe de Saint-Pétersbourg (1738) et l'intuition de l'utilité marginale

Le concept d'utilité marginale allait cependant naître de l'intérêt, déjà ancien, manifesté par les philosophes au sujet d'un paradoxe connu sous le nom de "paradoxe de Saint-Pétersbourg", lequel fut résolu par Daniel BERNOULLI (1700-1782) en 1738, qui lui appliqua sans le nommer le concept d'utilité marginale décroissante. Le concept d'utilité marginale décroissante dit simplement ceci :  chaque unité supplémentaire de bien que l'on consomme procure une supplément d'utilité décroissant. Pour voir comment ce concept s'applique au paradoxe de Saint-Pétersbourg, on rappellera d'abord en quoi celui-ci consiste. Premièrement, s'il a été appelé ainsi, c'est simplement parce que Daniel BERNOULLI (1700-1782) fut pendant quelques années professeur de mathématiques à Saint-Pétersbourg et que c'est donc logiquement devant l'académie de Saint-Péterbourg, en 1738, qu'il présenta pour la première fois la solution à ce paradoxe qui était connu mais sans solution jusqu'alors.

Il s'agit en fait d'un jeu qui consiste à lancer une pièce en l'air et d'observer le résultat. Si la pièce tombe sur face, le joueur gagne 21 ducats et le jeu s'arrête. Si la pièce tombe sur pile, on rejoue. Si la pièce tombe sur face, le joueur gagne 22 ducats = 4 ducats et le jeu s'arrête. Si la pièce tombe sur pile, on rejoue. Le tableau ci-dessous donne les résultats jusqu'à 10 :

n (nombre de jets) Probabilité que
face sorte au jet n
(mais pas avant)
Gain du joueur
1 1/2 2 ducats
2 1/2 x 1/2 =1/4 22 = 4 ducats
3 1/2 x 1/2 x 1/2 =1/8 23 = 8 ducats
4 1/24 = 1/16 24 = 16 ducats
5 1/32 32 ducats
6 1/64 64 ducats
7 1/128 128 ducats
8 1/256 256 ducats
9 1/512 512 ducats
10 1/1024 1024 ducats

Source du tableau : http://plato.stanford.edu/entries/paradox-stpetersburg/

La question qui se posait, était de savoir quelle somme un joueur est disposé à payer pour jouer à ce jeu. On pensait que la réponse rationnelle était donnée par l'espérance mathématique du gain, mais cette solution ne fonctionne pas, car l'espérance de gain est infinie (voir ci-après). Or personne n'est prêt à donner une somme infinie pour jouer à ce jeu (4 ducats est semble-t-il un maximum, et encore ....).

L'espérance de gain, E(G), se calcule ainsi :

La solution proposée par Daniel BERNOULLI (1700-1782) consiste à dire que ce qui compte, ce n'est pas l'espérance du gain, mais l'espérance de l'utilité du gain est positive mais croît à un taux décroissant. C'est-à-dire par exemple que l'utilité que me procure 2 millions de ducats n'est pas le double de l'utilité que me procure 1 million de ducats, mais moins.

Daniel BERNOULLI (1700-1782) propose alors de mesurer l'utilité du gain par le logarithme (en base 10) du gain. C'est-à-dire que :

L'espérance de l'utilité du gain, E(G), se calcule ainsi :

 

Le tableau ci-dessous donne les résultats jusqu'à 15 (puis 24) :

n (nombre de jets) Probabilité que
face sorte au jet n
(mais pas avant)
Gain du joueur Proba de gain multipliée
 par  Log[gain]
1 1/2 2 ducats (1/2) Log[2]=0,1505 0,1505
2 1/2 x 1/2 =1/4 22 = 4 ducats (1/4) Log[4]=0,1505 0,3010
3 1/2 x 1/2 x 1/2 =1/8 23 = 8 ducats (1/8) Log[8]=0,1128  0,4138
4 1/24 = 1/16 24 = 16 ducats (1/16) Log[16]=0,0752  0,4890
5 1/32 32 ducats (1/32) Log[32]=0,0470  0,5360
6 1/64 64 ducats (1/64) Log[64]=0,0282  0,5642
7 1/128 128 ducats (1/128) Log[128]=0,0164 0,5806
8 1/256 256 ducats (1/256) Log[256]=0,0094  0,59
9 1/512 512 ducats (1/512) Log[512]=0,0052  0,5952
10 1/1024 1024 ducats (1/1024) Log[1024]=0,0029  0,5981
11 1/2048 2048 ducats (1/2048) Log[2048]=0,0016 0,5997
12 1/4096 4096 ducats (1/4096) Log[4096]=0,0009 0,6006
13 1/8192 8192 ducats (1/8192) Log[8192]=0,0004 0,6010
14 1/16384 16384 ducats (1/16384) Log[16384]=0,0002 0,6012
15 1/32768 32768 ducats (1/32768) Log[32768]=0,0001 0,6013
24       0,60206

Source du tableau : http://plato.stanford.edu/entries/paradox-stpetersburg/

Le graphique ci-dessous permet de visualiser l'espérance de l'utilité du gain sous forme d'une surface. Cette espérance est égale à 0,60206. Or, puisque U=log(G), on a 0,60206=log(G), soit G = 4 ducats. Autrement dit, un joueur rationnel est prêt à investir 4 ducats pour participer au jeu et non pas un nombre infini de ducats, comme le laissait penser le résultat obtenu simplement en prenant l'espérance du gain.

 

La résolution du paradoxe  a été obtenue par Daniel BERNOULLI (1700-1782) en utilisant la fonction log(U) dont la caractéristique est de croître à un taux décroissant. Les néoclassiques reprirent cette idée que chaque accroissement d'utilité est inférieur au précédent : c'est l'utilité marginale.